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ENTRETIEN avec Babelio

à propos de la genèse de L'amour est une maladie ordinaire

Le narrateur de L’amour est une maladie ordinaire est un trentenaire parisien narcissique, en quête d’un amour absolu et éternel, qui pour éviter la dégradation des sentiments n’hésite pas à orchestrer sa (fausse) mort, avant de renaître transformé. Il se nomme comme vous François. Première question que l’on a envie de vous poser : à combien de vies en êtes-vous ?   

Je ne sais pas, peut-être la cinquantième, la soixantième ? Ou peut-être que je n’en suis pas même encore à la première. L’être humain est un éternel brouillon : on passe sa vie entière à essayer de devenir la personne qu’on a envie d’être. On est donc à un moment de notre vie une certaine personne. Puis on en devient une autre. Parfois on en est plusieurs, simultanément, selon les personnes qu’on fréquente ou les environnements dans lesquels on se trouve.

Mais pour éviter tout malentendu, je dois commencer par dire que ni ma vie ni ma personne ne sont suffisamment intéressantes pour en faire un livre. Je ne raconte donc jamais ce qui m’est vraiment arrivé. Et je n’ai pas grand-chose à voir non plus, je l’espère, avec le personnage de mon roman. Mais c’est vrai aussi que je n’aime pas parler de ce que je ne connais pas : je serais incapable je pense de raconter l’histoire d’un chirurgien en Papouasie. C’est pourquoi je puise pour écrire mes livres dans ma biographie, dans les événements et préoccupations de ma vie. Je passe ensuite tous ces ingrédients dans le mixeur de mon cerveau - dont je n’ai jamais compris le fonctionnement -, et il en sort une histoire qui a peu à voir avec ce qui m’est arrivé. Mais puisque ce livre traitait de thématiques qui me préoccupaient au moment où je l’ai écrit, j’ai trouvé naturel d’appeler mon personnage François. C’était peut-être une erreur, car cela donne évidemment l’impression que je raconte ma vie. Et que je suis en empathie avec mon personnage, que je partage son point de vue. Ce qui n’est pas le cas, bien au contraire. Je voulais parler de la stupidité masculine, de la psychopathie amoureuse de certains hommes. De la sorte de folie dans laquelle le besoin pathologique d’être aimé peut les faire sombrer.

Et si vous vouliez insinuer par votre question que je suis narcissique et stupide, je vous provoque en duel mardi prochain à midi sur le Quai de Loire à Stalingrad.

 

Le François du roman se montre à la fois égocentrique et idéaliste, parfois complètement à côté de la plaque, mais souvent touchant dans sa naïveté. Etait-ce une volonté bien affirmée dès le départ d’en faire un salaud attachant, un presque quadra en pré-crise ?

Oui, c’est un point auquel j’ai accordé une attention particulière. J’ai toujours été attiré par les personnages qui présentent un miroir inquiétant de notre humanité. Les personnages négatifs, qui montrent ce qui ne fonctionne pas dans l’être humain. Le problème avec ces personnages, c’est qu’on a du mal à les aimer, et donc à les comprendre, à s’y projeter. Et ça nuit à la lecture. Ça nuit à notre propos. Je me suis efforcé effectivement de ne pas faire un portrait à charge, de ne pas présenter mon personnage que comme un monstre, qui ne pourrait que faire peur. C’était un fil ténu : il fallait le rendre touchant pour que le lecteur ne soit pas rebuté par sa saloperie, mais faire attention à ne pas le rendre trop touchant non plus, pour ne pas risquer de donner l’impression de le disculper, et d’atténuer la saloperie de son comportement, qui était pourtant le cœur de mon propos, ce que je voulais mettre en avant.

 

 

Peu à peu, le narrateur se voit contraint de réduire la liste des arrondissements qu’il peut fréquenter pour éviter ses « victimes ». Paris se transforme alors en une immense no-go zone, et il ne lui reste bientôt que les quartiers chics et ennuyeux de la capitale. Ce sont peut-être cela, les lieux infréquentables de la capitale, au final…

Paris est très présent dans le roman. J’avais à cœur de situer l’histoire dans des lieux concrets que je connais, pour contrebalancer le caractère de « fable » de mon récit. Mais comme mon personnage déménage régulièrement, je ne pouvais pas non plus éviter les arrondissements riches de l’ouest et sud-ouest parisiens, que je ne connais pourtant absolument pas. Ces zones de Paris sont très étranges pour moi. Quand je me retrouve dans ces quartiers, j’ai l’impression d’être assis au milieu un rond-point en pleine campagne : je sens que je n’ai rien à faire là, que je ne suis pas à ma place. Qu’il faut que je m’en aille. Vite.

Plus qu’infréquentables, ces zones m’apparaissent plutôt comme des non-lieux. Où les trottoirs sont déserts, la vie cantonnée derrière les façades des immeubles. C’est une vision très subjective, car je n’y ai jamais vécu. Mais ces quartiers - ou en tous cas la façon dont je les perçois - convenaient parfaitement au parcours de mon personnage, qui au fur et à mesure, à force de vouloir s’éloigner de la foule, s’enfonce dans la solitude.

 

 

Vous prenez un malin plaisir à décortiquer le quotidien, pour faire surgir toute la magie du banal. Comme dans ces scènes où François, devenu presque invisible, s’amuse à briser les interdits : il boit dans les verres d’inconnus, sort sans payer des boutiques, se sert dans les bars et visite des appartements. Est-ce que pour vous l’écriture permet de donner corps (ou du moins de l’épaisseur) à des fantasmes ?

Non, je n’ai jamais spécialement rêvé d’être invisible ! Ce qui m’intéresse dans l’écriture, c’est de décaler très légèrement l’ordonnancement des choses, afin de les voir sous un angle différent, et peut-être mieux les comprendre. Avec le thème de la presque invisibilité, je voulais parler de la façon dont on peut être amené à disparaître soi-même, se dissoudre dans l’amour qu’on éprouve pour l’autre. À ne plus pouvoir exister autrement qu’à travers l’autre et l’amour qu’il nous porte.

 

Si l’amour est une maladie, peut-on décemment avoir envie de guérir ?

C’est surtout impossible. Comme le dit mon personnage dans le roman, beaucoup de gens déçus par l’amour ont souvent de grands discours pleins de pathos où ils déclarent renoncer à l’amour. C’est très triste. Mais surtout terriblement vain, car ils auront beau s’efforcer de centrer leur vie sur autre chose : le bouddhisme, le travail, le sport, ou la multiplication des partenaires sexuels, ils finiront toujours, un jour ou l’autre, par se faire rattraper. Et même s’ils réussissent à tenir bon jusqu’à leur mort, ils auront vécu toutes ces années rongés, qu’ils l’admettent ou non, par l’absence de cet amour dont ils avaient voulu se prémunir. Et sans doute aussi par quelques ulcères.

Est-ce que vous me croyez si je vous dis que c’est seulement maintenant, à cause de votre question, que je me rends compte que le titre de mon livre ressemble à celui de la chanson de Michel Sardou ? C’est effrayant.

 

QUELQUES QUESTIONS À PROPOS DE VOS LECTURES

Quel est le livre qui vous a donné envie d’écrire ?

Il n’y en a pas. C’est un partenaire de rugby, devenu lui-même réalisateur et écrivain, qui m’a dit pendant mes études que je devrais écrire. Je n’y avais jamais pensé. Et mon goût de l’écriture n’était pas en rapport avec mon goût de la lecture, qui avant que je me mette à écrire était très fragile et intermittent. Mais disons que le premier livre qui m’a fait penser qu’il y avait peut-être une littérature pour moi, qui suis issu d’un milieu où le rapport à la culture est très laborieux, c’est Extension du domaine de la lutte de Houellebecq. J’y ai trouvé des choses que je n’avais jamais trouvées dans la littérature française : des sujets graves traités avec humour, une absence de fétichisme de la langue, et une histoire se déroulant ailleurs que dans des appartements hauts de plafond.

 

 

Quel est l’auteur qui vous a donné envie d’arrêter d’écrire (par ses qualités exceptionnelles...) ?

J’ai souvent entendu cela, mais j’ai du mal à comprendre qu’un auteur exceptionnel puisse dissuader d’écrire. Je trouve curieuse cette façon qu’ont les gens la plupart du temps de se placer à l’échelle de l’histoire de l’Art, et pas à l’échelle de leur vie, avec des arguments comme « Qu’est-ce que j’ai à apporter à l’histoire de la littérature, quand on voit ce que tel ou tel génie a produit », etc.

J’envisage mon activité d’écriture comme, je ne sais pas, quelqu’un peut envisager la pratique du tennis. Ne pas être capable de jouer comme Federer n’invalide pas mon désir de jouer au tennis. Ce n’est pas « prétentieux » de vouloir jouer au tennis parce que quelqu’un d’autre joue très bien. C’est comme si au moment d’écrire, on devait se dire : « Marcel, tiens-toi bien, j’arrive ! ». Laissons Marcel tranquille.

Je me sens bien sûr, et me sentirai sans doute toujours incommensurablement en-deçà d’auteurs que j’ai admirés, comme Gogol, Kafka, Dostoïevski ou Gombrowicz. Mais ça ne m’empêche pas d’écrire. Ils font leurs chefs d’œuvre de leur côté, moi mes petits livres du mien.

 

 

Quelle est votre première grande découverte littéraire ?

J’ai été marqué notamment par Le Château de Kafka et Ferdydurke de Gombrowicz, avec leurs personnages perdus au milieu d’un monde dont ils ont du mal à comprendre les règles. Kafka et Gombrowicz parviennent à nous emmener dans un univers complètement étranger, qui est pourtant à peu de choses près celui dans lequel nous vivons. Ils m’ont appris que le voyage est une question de regard.

 

 

Quel est le livre que vous avez relu le plus souvent ?

Je le regrette, mais je ne parviens pas à relire les livres, ou très rarement. Les livres que j’ai le plus relus sont sans doute ceux de Dostoïevski, que j’ai lus un peu en russe, puis en français dans des traductions classiques, avant de les relire tous dans la traduction de Markowicz, éminemment plus proche de la langue de Dostoïevski. Comme j’ai lu absolument tout ce qu’il a pu écrire, et qu’il a écrit une bonne trentaine de romans et récits, c’est sans doute l’écrivain que je connais le mieux.

 

 

Quel est le livre que vous avez honte de ne pas avoir lu ?

La honte de ne pas avoir lu quelque chose renvoie pour moi à une vision rétrécie de la littérature et de la culture, l’envisageant uniquement comme un marqueur social, et non comme une activité proprement dite. Elle m’est étrangère. D’autant plus qu’en raison de mes origines familiales, mon panthéon de la littérature se situe en Europe centrale et orientale. J’ai donc été amené très tôt à relativiser ces contraintes d’étiquette. Il me paraissait absurde d’avoir honte de ne pas avoir lu Balzac, alors que la personne qui s’en offusquait n’avait pas lu Gogol ni Bruno Schulz.

De fait, mis à part Flaubert et Diderot, je n’ai lu presque aucun classique français antérieur au 20ème siècle : ni Balzac, Hugo, Villon, Stendhal, Rabelais, Maupassant, Voltaire ou Zola. Je n’ai pas non plus lu Pouchkine.

Il est peut-être étonnant que je n’aie pas lu ces livres. Mais il n’y a aucune raison que j’en aie honte. Les univers culturels sont multiples. Et ils ne disent pas grand-chose de notre valeur.

 

 

Quelle est la perle méconnue que vous souhaiteriez faire découvrir à nos lecteurs ?

Je ne sais pas si je souhaite vraiment le faire découvrir, car c’est un livre rude, mais c’est en tous cas une perle assez méconnue. C’est un roman russe du début du 20ème siècle, Un démon de petite envergure de Fiodor Sologoub, peuplé de gargouilles, aux personnages d’une insondable bêtise et d’une bassesse maussade. Un livre un peu effrayant, qui peut donner envie de s’isoler des hommes et d’acheter un chien. Mais extrêmement drôle aussi, pour qui est sensible à ce type d’humour.

 

 

Quel est le classique de la littérature dont vous trouvez la réputation surfaite ?

Cela m’arrive rarement, car même quand je n’aime pas un livre, j’arrive toujours à comprendre pourquoi il a pu plaire. Le seul livre qui me vient en tête est Le vieil homme et la mer d’Hemingway. J’ai toujours eu du mal à comprendre ce qu’il pouvait y avoir de beau ou de grand à suivre l’histoire d’un type qui essaie de tuer un poisson.

 

 

Avez-vous une citation fétiche issue de la littérature ?

« Notre plus cruel ennemi est moins haïssable que le grand et gros inconnu dont le dos placide nous empêche d’approcher du comptoir d’un marchand de saucisses. » (Nabokov, Roi, dame, valet)

 

 

Et en ce moment que lisez-vous ?

En moins bien, d’Arnaud Le Guilcher, sur les conseils d’une libraire. Apparemment, Sébastien Chabal a beaucoup aimé ce livre. Pour l’instant, moi aussi.

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